En cordee emotionnelle au coeur de la catastrophe climatique Alex ... Le message de ceux et celles qui n'y etaient pas, mais qui restent solidaires.

Voila une section pour un projet d'ouvrage concernant ceux qui n'etaient pas dans la Tempete mais qui ont ete touches au plus profond d'eux meme.
Votre contribution fera sans doute l'objet d'une publication. Voire les modalites pour que tout le monde y trouve son compte.



[Voir les interview de Helene Guenin, Centre Pompidou-Metz  pour mieux comprendre le propos du "sublime" en lien avec les catastrophes ecologiques]: https://youtu.be/BIPnJdD1Z9Y

De la Collapsologie d'une tempête Sublime.

Moi, je n'y étais pas, c'était donc certainement plus "sublime" pour moi que pour ceux qui y étaient me suis-je dit. La culpabilité me saisit, je la connais bien cette culpabilité, elle m'avait déjà rendu visite alors que le corps d’un migrant avait été porté disparu en novembre 2016 près du viaduc Roverino à Vintimille lors d’une crue soudaine de la Roya. Bien sûr, ce n’est pas si simple, quand mes parents s’installent avec moi dans la Nuccia à Tende, puis sur le Ponte, je n’ai que 2 ans, nous sommes en 1962, la deuxième guerre n’a pris fin que 17 années plus tôt, Tende n’est devenue française que depuis 15 ans. Il n’y a vraiment que l'école, la gendarmerie et la poste qui étaient françaises, le reste est encore très italien. Toute la famille de Concetta, celle où grandit notre maire Jean-Pierre Vassalo, parle Italien à la maison ou 'Tendascou'. Il ne sera pas très bon pour les études mais se révélera un excellent pâtissier. Depuis qu'il a rencontré le Président de la République et si bien défendu le village dans son désormais célèbre gilet rouge, aussi bien en français qu'en italien, il faut admettre qu'il a gagné ses galons d'homme politique, même si je ne partage pas toutes ses idées. Juste pour rappeler que c'est aussi une catastrophe hautement politique, pour ceux qui ne l'auraient pas remarqué ou s’affrontent violemment tous les partis incluant le mouvement de la majorité au gouvernement.
Mes parents arrivent d’Alsace ou mon père d’origine protestante a dû porter l’uniforme allemand "malgré lui”. Ma mère issue d’une grande famille juive alsacienne avait dû rester cachée plus de 2 ans dans une cave à Ambert dans le Massif Central, échappant ainsi aux camps de concentration. A 2 ans j'étais déjà un rescapé arrivant d’une zone frontalière de crise, devenue successivement allemande puis française plusieurs fois. J'arrivais dans une autre zone de crise, italo-française celle-la, les deux zones durement marquées par cette deuxième guerre mondiale dévastatrice. Je restais donc en France, mais dans le camp italien qui venait de perdre la guerre et decidait de rejoindre la France. Heureusement, l'imagination aidant beaucoup dans les situations de catastrophe, je me suis fait passer pour un sicilien arrivant de Syracusa. Avec mes cheveux blonds et mes yeux bleus, cela n'a pas vraiment marché, pour la petite histoire.
Lors du passage de la tempête Alex, bien sûr j’ai souri en pensant à mon ami Alex, guide et responsable des pompiers de Tende, "il était une fois". Mélange de désespoir, de fierté, d’admiration. J’ai ressenti à nouveau ce sentiment fortement identitaire qui est réapparu à Tende avec cette catastrophe, mélangé cependant avec une grande solidarité entre les populations des divers villages de la Roya. Cette solidarité qui venait aussi de nos amis italiens, les plus proches, eux-mêmes touchés par la tempête Alex. Cela m’a fait peur car j’entendais ici et là, ceux des tendasques qui criaient sans hésiter qu’il étaient encore italiens, hélas pas encore assez européens. L’ombre du fascisme était là pour moi. Mais qui suis-je, moi qui ai eu droit toute mon enfance au traître label de “recampun”. Car j’ai vécu le fascisme au berceau, je suis l’enfant atypique de cette deuxième guerre, puis j’ai été en effet au collège jusqu’en 4ème dans la gare-château de Mussolini à St Dalmas de Tende, cette “ligne de vie” construite par le fascisme pour aller de Limone à Vintimille, 'suspendue' au-dessus de la Roya.
Dans ces temps de catastrophe, tout éloigné que j'étais de la Vallée de la Roya, j'étais alors près de Porto en train de marcher sur le Chemin de Compostelle, quelques jours avant mon départ en mission pour le Cap Vert, j’ai ressenti cette culpabilité, de ne pas être là, que d'autres meurent ou souffrent à ma place. De ne pas être là pour les serrer dans mes bras, les rassurer, les réchauffer, les sauver si nécessaire. J’ai grandi avec des pantalons courts dans la neige, pour être de ceux qui survivent dans la tempête, et voilà que je suis absent, que je fais défaut au moment où l'on pourrait le plus avoir besoin de moi. J’ai ressenti, plus que d’autres sur place, cette fascination pour la force des éléments car je me suis fait une indigestion de photos et de discours plus dithyrambiques les uns que les autres sur la Tempête Alex, bien plus évocateurs que mes post collapsologiques sur FB. Cette catastrophe, pour moi et sans doute pour les autres tristes absents, était une sorte de fin du monde, un effondrement bien à nous, un cataclysme de la fin des temps faisant remonter à la surface, plutôt qu’ensevelir, toutes les blessures mal cicatrisées d’un passé sombre qui n'était pas si lointain, d'un sentiment profond d'injustice propre à Tende qui s'est certainement déjà senti abandonnée ou isolée plusieurs fois dans le passé. La Roya est plus qu'un symbole, c'est elle la ligne de vie, a défaut de la ligne de chemin de fer. Entre le Col de la Perle où sont éparpillées les cendres de mon père et la Mer Méditerranée ou baignent quelque part celles de ma mère, il y a ce cordon ombilical qu'est ma vallée. J’ai donc bien ressenti combien ceux qui étaient là, dans la tempête, avaient plus droit au chapitre que ceux qui n’y étaient pas. Pour une renaissance de la Vallée de la Roya… Sans doute faut-il faire de son mieux pour être aussi présent que possible. Voilà mes amis, ma famille, mes ancêtres, chers habitants de la Roya, pour ma culpabilité, “sublime”.

Magnifique et intense témoignage

J'ai adoré 🥰